Déposé le 24/09/2013 à 18h08
L'été, ça chante les vacances, le rosé en terrasse et la légèreté de l'être. Pourtant, j'ai choisi de rapporter ici trois événements de ma vie qui, en été, m'ont rendu bien lourd.
Je suis jeune encore cette année-là et je réalise un rêve : une randonnée glaciaire entre Chamonix et Zermatt. Moins costaud et moins bien entrainé que mes compagnons de cordée, je peine à suivre leur rythme. Mes chaussures, si bien adaptées aux vallonnements brabançons, supportent mal les crampons et me transforment rapidement les pieds en charpies sanguinolentes décorées d'impressionnants chapelets d'ampoules.
Manifestement, je ralentis le groupe, mais au lieu d'être considéré comme un poids mort, je deviens un défi pour la cordée : il faut que le petit Belge arrive à Zermatt ! Mes compagnons me soutiennent et vont jusqu'à m'aider, le soir au refuge, à me laver et me panser les pieds. Avec toute leur bonne humeur et un peu de mon autodérision, l'ambiance devint si légère que, sur le quai de la gare de Zermatt, ils m'ont tous remercié pour ce que j'avais apporté à notre équipée.
Quelques étés plus tard, notre famille fut violemment endeuillée. Je me suis retrouvé à terre, bien lourd au fond du panier de mon désespoir. Un nombre considérable de parents, d'amies et d'amis sont venus me dire que j'avais le droit d'être lourd. Ils m'ont proposé de porter avec moi, chacun à sa façon, une petite partie de mon fardeau.
Plus tard encore, j'ai passé un bout d'été à l'hôpital. Littéralement cloué au lit par l'opération qui m'avait débarrassé de mon cancer, je me suis senti aussi lourd qu'une baleine échouée sur le sable de la mer du Nord. Je me souviens d'une infirmière africaine. Elle m'engueulait chaleureusement chaque matin quand je n'avais ni la force ni le courage de me lever. Je me souviens de la kiné. Yes you can ! Je me souviens de mon épouse, de ma famille et de mes amis avec qui, pendant les mois qui ont suivi, je n'ai cessé de parler de la mort. J'étais lourd et ils m'ont supporté comme ils l'auraient fait avec un oiseau blessé qui attend que ses ailes puissent de nouveau s'ouvrir.
Vous ferez de ces anecdotes ce que vous voudrez, bien entendu. Pour ma part, je les regarde et je vois qu'il est bon, parfois, d'être lourd et de peser sur ceux qu'on aime et qui vous aiment. Alors, je pense à l'euthanasie et je frémis quand j'entends qu'il est préférable, pour certains, de s'esquiver à temps pour éviter de peser sur nos proches. À titre individuel, seule la liberté de ceux qui font ce choix est en jeu et ils méritent notre respect, mais je crains qu'il puisse y avoir là un dangereux signal qui pourrait persuader les plus fragiles et les plus vieux qu'il est temps pour eux de dégager !
Il y a des situations limites de souffrance qui doivent être rejointes, y compris par d'exceptionnelles euthanasies, mais il ne devrait pas suffire de peser sur son entourage pour s'y sentir invité. Ce serait une rupture dramatique du contrat fondateur de notre société qui considère la vie comme sacrée sans autre justification qu'elle-même.
La vie n'appartient à personne, mystérieusement confiée à notre soin et à la bienveillante sollicitude de la communauté qui nous accueille, elle vaut a priori la peine d'être vécue, quel que soit son poids.
En espérant n'avoir en rien alourdi votre journée par cette chronique, je vous souhaite de goûter cet été à la légèreté de l'être. Pourquoi pas sur une terrasse au soleil avec quelques amis et un petit rosé bien frais ? À consommer avec modération.
Nous remercions l'auteur d'avoir autorisé la publication sur ce site de son article déjà paru dans La Libre du 10/07/2013