Déposé le 01/04/2013 à 10h59 Regard du Philosophe
On envisage de légaliser l'euthanasie des enfants, et l'euthanasie pour autrui. Bien que les partisans de ces réformes manient l'excommunication morale avec une virtuosité toute ecclésiale — si vous êtes contre, c'est donc que vous êtes insensible à la souffrance, ou pire : catho ! —, risquons-nous à interroger l'humanisme revendiqué de ces innovations.
D'abord, l'euthanasie des enfants. Par hypothèse, l'euthanasie d'un enfant sera décidée par ses parents, et non par l'enfant lui-même (« les très jeunes patients ne seront pas en mesure d'émettre eux-mêmes une demande d'euthanasie », reconnaît l'auteur de cette proposition de loi sur le site Web de son parti). On excipe de la souffrance intolérable d'enfants malades. Nul ne la conteste et, dans ce crépuscule effroyable de la vie végétalisée qui annonce la mort, les praticiens ne s'acharnent guère. Mais qui ne voit que la consécration d'un droit à part entière ouvrira progressivement les vannes de l'infanticide par commodité ? Même en assortissant ce droit de garanties procédurales, comment éviter que des parents ne posent le choix terrible d'euthanasier leur enfant malade par confort (financier, émotionnel, pratique) ?
Déjà, le confort est déterminant de la plupart des interruptions volontaires de grossesse (IVG), qui devaient initialement ne concerner que les cas de détresse. Les partisans de l'avortement nous avaient expliqué que, dans les premières semaines, l'enfant n'est pas encore constitué et que, dès lors, le droit de la mère prime celui d'un être qui n'est pas tout à fait humain. Cet argument s'estompe avec l'euthanasie des enfants — sauf à considérer que la maladie d'un enfant le ferait régresser à un stade pré-humain. Il s'agit bien, à présent, quels que soient les termes utilisés, d'investir un parent du droit exorbitant de décider de la mort de son enfant.
Voici que l'on débat, plus généralement, de l'euthanasie décidée pour et à la place d'une personne qui, malade, ne serait plus en mesure de former son propre jugement. Là encore, comment éviter que le confort de l'auteur du décret fatal — par exemple, le fils ou la fille de l'intéressé(e) — ne prime d'autres considérations, plus altruistes ? S'en assurer supposerait de sonder son âme. L'un de mes proches est mort d'une tumeur cérébrale. Son épouse l'a accompagné jusqu'au bout et il a rendu son dernier souffle chez lui. Avec la loi envisagée, nul n'aurait pu s'opposer à une demande d'euthanasie, certainement pas l'intéressé, qui avait progressivement perdu l'usage de la parole. Un ami est mort grabataire, après trois longues années de souffrance. Il ne cessait de me dire qu'il attendait la mort. Mais il n'a jamais voulu qu'on la lui administre. La dernière année, il ne parlait plus. N'étaient l'amour et le courage de son épouse, qui, avec la loi envisagée, aurait pu s'opposer à ce que l'on hâte son trépas ?
Ainsi des réformes en apparence étrangères — avortement, euthanasie, euthanasie des enfants, euthanasie pour autrui — sont-elles liées par une vraie cohérence : le droit au confort se hisse au premier rang des droits de l'homme. Triomphe de l'hédonisme, loi du plus fort, appropriation de la personne. Désacralisé et prenant l'eau de toutes parts, le droit à la vie ne semble conserver sa validité que dans le débat sur la peine de mort : la vie est sacrée, dit-on alors, on ne peut l'ôter volontairement, même au pire des criminels (Robert Badinter). Les adversaires de la peine de mort tiraient argument du risque, incontestable, d'erreur judiciaire. Soutiendra-t-on qu'aucune erreur, aucune dérive jamais ne se produira, dans l'euthanasie des enfants et l'euthanasie pour autrui ? Qu'aucun enfant qui, dans la modeste mesure de ses moyens, s'attache farouchement à la vie misérable qui lui est donnée, ne mourra du fait de l'arrogance et l'égoïsme des hommes ? Je n'en jurerais pas.
Dans la mythologie grecque, Thanatos, dieu de la mort, est l'ennemi implacable du genre humain. Nous avons la prétention inouïe de nous en faire un allié. Il nous sourit.