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L'euthanasie : un choix individuel ?

Déposé le 14/06/2013 à 11h01  Catégorie Regard du Philosophe

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X. M. X. M.
Philosophe et enseignant

Dix ans après l'adoption par notre pays de la loi autorisant l'euthanasie, plusieurs propositions de loi sont actuellement en discussion au sénat en vue d'élargir ce droit à la mort médicalisée.

Du point de vue philosophique, un des arguments majeurs qui revient constamment dans la discussion sur ces sujets dits « éthiques » est le suivant : « Dans un régime de liberté, chacun doit pouvoir mener sa vie privée comme il l'entend, en la fondant sur les principes philosophiques qu'il se choisit, sans que l'État n'ait à intervenir ni pour le contraindre, ni pour l'empêcher de poser des actes qui ne concernent que lui. En l'occurrence, de même que nul ne doit être contraint de subir une euthanasie, nul non plus ne doit en être empêché s'il en fait la demande. Quoi de plus intime et personnel, en effet, que la vie et la mort ? ».

Il y a, évidemment, une part de vérité dans cette affirmation, qui ne fait qu'appliquer les principes de la philosophie des Lumières, un des fondements des sociétés libérales modernes. Parmi ces principes, celui de la liberté de conscience, d'opinion, de religion est certainement un acquis des sociétés démocratiques.

Mais on connaît l'adage : « La force de l'erreur, c'est la part de vérité qu'elle contient ». S'il y a donc bien une part de vérité dans l'affirmation qui sous-tend la demande des tenants de l'euthanasie et de son extension, cette affirmation n'en demeure pas moins erronée en son fond, à savoir, notamment, la revendication à pouvoir poser librement des actes qui ne concerneraient que soi. Car précisément : aucun acte ne concerne que la personne qui le pose. Au contraire, chacun de nos actes a toujours une implication sur autrui. Les êtres humains ne sont pas isolés. Ils vivent ensemble sur une planète dont l'histoire collective et l'évolution dépendent des comportements de chacun.

Une demande d'euthanasie ne concerne donc jamais la personne seule qui en formule la demande. Bien au contraire, elle engage aussi le personnel médical et les institutions de soins, ainsi que les relations professionnelles en leur sein, elle retentit sur la famille et les proches puis, par le biais de la législation et de l'extension de la pratique de l'euthanasie, elle transforme finalement la culture et touche l'ensemble de la société elle-même.

Je voudrais citer un exemple récent qui illustre comment ces questions éthiques débordent toujours largement le seul contexte d'une décision privée qui ne concernerait qu'un seul individu. Il y a quelques semaines, une connaissance postulait pour un emploi au sein d'une asbl en région wallonne, chargée de recueillir les plaintes de résidents en maison de repos et de les accompagner dans les démarches à introduire pour obtenir réparation en cas de manquements de ces institutions. Au cours de l'entretien, il fut demandé au candidat s'il accepterait de recevoir et soutenir une plainte émanant d'un résident auquel une maison de repos refuse l'euthanasie en ses bâtiments. Le candidat répondit avec honnêteté qu'une telle demande le mettrait mal à l'aise et qu'il lui semblait qu'une clause de conscience existait pour ce genre de cas. Un malaise perceptible traversa le comité d'embauche et, à l'issue de l'entretien, le candidat ne fut pas retenu.

A travers cet exemple, le propos n'est bien sûr pas de dire que le refus de la coopération à un acte d'euthanasie a été le motif du refus d'embauche du candidat. C'est possible, mais on ne le sait pas. Le propos est simplement de montrer que cette question n'est jamais une question qui ne concernerait qu'un individu isolé : c'est finalement toute la société qui, de près ou de loin, est concernée par cette législation qui retentit, par exemple, sur un entretien d'embauche.

A ce titre, la revendication de l' « Association pour le droit de mourir dans la dignité » d'une extension de la loi sur l'euthanasie en vue de contraindre les institutions sanitaires à accepter la pratique de l'euthanasie(1), en supprimant la clause de conscience pour les personnes morales, est évidemment en parfaite contradiction avec l'affirmation selon laquelle il ne s'agirait que de donner droit à une revendication individuelle et privée.

Le slogan qui figure en page d'accueil du site de cette association est d'ailleurs éloquent à ce propos : « Chacun doit avoir le droit de faire respecter ses volontés, y compris éventuellement celle de renoncer à la vie ». « Faire respecter ses volontés » ? N'est-ce pas la définition-même de l'instrumentalisation d'autrui, et de la société, pour l'accomplissement de son désir individuel ? Imaginons ces mots dans la bouche d'un enfant ou d'un adolescent : « Je dois avoir le droit de faire respecter mes volontés ! ». Ne dira-ton pas bien vite qu'il s'agit d'un enfant gâté ou d'un adolescent en crise ?

Peut-être pensera-t-on que parler de la sorte revient à mépriser la souffrance des personnes. Mais ce n'est pas le cas. Car ce n'est pas le traitement de la souffrance qui est le véritable enjeu du débat sur l'euthanasie ou son extension. Les opposants à la loi ne s'opposent en effet nullement au traitement adéquat de la souffrance et cherchent au contraire à promouvoir non seulement le traitement de la souffrance physique mais aussi psychologique et morale.

La motivation de fond qui anime les promoteurs de l'euthanasie et de son extension est proprement philosophique : chacun doit être libre de vivre et de mourir comme il veut... et d'imposer ses volontés.

De même alors que l'on rappellerait avec raison à un jeune adolescent égocentrique qu'il n'est pas seul au monde, et qu'il y sera finalement plus heureux en s'ouvrant à autrui plutôt qu'en se refermant sur son désir, de même ne libérera-t-on pas davantage les personnes souffrantes et la société toutentière en rappelant que chacun de nos actes a une portée qui nous dépasse largement et qu'à travers ceux-ci ce n'est jamais seulement nous-mêmes mais toute la société que nous contribuons à faire vivre... ou mourir ?

(1) Cf. LLB 17-05-2013


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