Déposé le 19/12/2013 à 13h25
Extrait de l'intervention au Sénat ce 12 décembre:
(...)
Faisons-nous ici oeuvre utile ?
Pour tenter d'y répondre, je reprendrai une expression fréquemment utilisée dans les travées d'un parlement, celle suivant laquelle « La loi libère ». La loi libère le plus faible de l'oppresseur. Ou d'une situation, d'un contexte opprimant. Elle fixe un cadre dans lequel viennent se déployer de nouveaux possibles. C'est là l'utilité de la loi.
Appliquons ces questions à la portée de la loi que nous allons voter. Qui est le plus faible ? Qui est l'oppresseur ? Qui libère-t-elle en l'occurrence ? Et de quoi ?
La loi libère-t-elle le mineur ? En réalité je l'ignore. Je tente de comprendre en écoutant ce que me disent les uns et les autres. Je vous partage ici les mots d'un enfant décédé tout récemment. Ces mots me sont rapportés par une membre de l'équipe médicale : "Je sais que mes parents savent que je vais mourir, je sais que je vais mourir mais personne n'ose en parler." La personne de l'équipe médicale de garde a alors proposé à l'enfant d'écrire toutes ses questions sur papier. Elle a ensuite organisé une rencontre avec le pédiatre qui a répondu aux questions. L'enfant était inquiet pour un de ses parents, psychologiquement fragile. Il a demandé de l'aide au médecin pour l'endormir car il avait mal. Il s'est éteint accompagné de ses proches. C'est ce que l'on appelle la sédation dans le cadre palliatif.
Qu'est ce que la loi apporterait de plus à cet enfant ? Les enfants demandent avant tout de pouvoir vivre jusqu'au bout dans les meilleures conditions possibles et surtout, surtout !, que l'on s'occupe de la détresse de leurs parents et de la fratrie.
Et, interrogeons nous : est-ce vraiment au départ des raisons profondes de la souffrance de l'enfant que nous avons travaillé ?
Revenons au mineur : La loi ne va-t-elle pas lui poser une question supplémentaire ? Puisque l'enfant aura maintenant le droit de demander la mort, va-t-il le faire ? Pour qui ? Pour lui? Pour ses parents ? Pour les deux ? Quel poids, quelle question à se poser alors que l'on est en bout de course !
La loi libère-t-elle les parents ? Je l'ignore. J'entends de toutes parts que les parents sont les plus démunis pour faire face à ces situations. Comme me disait un parent, face aux dernières heures de sa fille qui venait d'avoir 18 ans, après cinq années de chimio, de périodes d'espoir et de d'abattement : "Nous avons assumé ces dernières heures avec le médecin traitant et le courage qui nous restait."
Le premier besoin des parents, c'est d'être accompagnés et soutenus. La loi ne lèvera en rien le poids qui est le leur. Au contraire, la loi leur impose de poser un choix : pour ou contre l'euthanasie. Un fardeau de plus à porter ultérieurement. Sans parler des situations familiales de plus en plus en plus complexes : familles séparées, recomposées, ou parfois au bord de la rupture. Comment gérer cette question en l'exonérant de toute forme d'instrumentalisation à d'autres fins ?
La loi va-t-elle libérer le médecin ? Je l'ignore. Sans doute libère-t-elle théoriquement le médecin d'une responsabilité qui devient davantage partagée. Et encore, c'est sans compter les questions qui demeurent par la suite mais qui, comme toujours lorsqu'il s'agit de décès, s'estompent avec le temps. Mais le médecin n'est pas seul. Il fait partie d'une équipe médicale. La loi va-t-elle davantage libérer l'équipe médicale parfois souvent bien seule au dernier moment, au moment d'administrer la dose létale ?
Ici aussi il faut entendre ce qui se pratique dans certains services. Pour les cas difficiles, le médecin fait la prescription, et à charge de l'infirmier ou l'infirmière de placer la perfusion. J'entends les assistants, les infirmiers, souhaiter bénéficier d'une sécurité juridique pour tous les cas « éthiques ». Cette protection leur permettrait d'invoquer l'objection de conscience.
Et, question qui ne manque pas de piquant, que des infirmières nous renvoient : pourquoi, nous infirmiers, infirmières, ne bénéficions-nous pas d'une sécurité juridique couvrant notre objection de conscience alors que, vous parlementaires, vous vous drapez dans votre liberté de conscience pour voter pour ou contre ce type de loi... ?
La loi libère-t-elle le psychologue ou le pédopsychiatre chargé de certifier ou non de la capacité de discernement du mineur ? J'ai déjà exprimé en commission le caractère hasardeux, sinon totalement virtuel, de cette condition telle qu'elle est formulée dans la proposition de loi, sur la base de la note rédigée par le Pr Luc Roegiers. Je concluais qu'il était impossible d'imaginer un médecin se tourner vers son patient, en l'occurrence un jeune, un enfant en fin de vie, lui dire que le rapport du psychologue ou du pédopsychiatre, tel qu'il est prévu par la loi, concluait à son incapacité de discernement, et qu'il n'était donc pas possible de donner suite à son souhait d'euthanasie.
Et donc, s'il est impossible d'envisager pratiquement ce cas de figure, alors l'appel à un expert psychologue ou pédopsychiatre tel que défini dans la loi n'est qu'un alibi. Tant à l'égard du médecin, de l'équipe médicale, des parents que de l'enfant.
Je n'ai pas rappelé ici le nombre particulièrement limité de demandes d'euthanasie formulées par un mineur en Belgique. Une dizaine, voire une quinzaine de cas par an. Légifère-t-on pour un tel nombre alors qu'il existe l'état de nécessité qui couvre le médecin dans les situations exceptionnelles?
A la question de savoir si cette loi est utile, ma conclusion, notre conclusion est toute tracée. Elle sera plus un poids qu'un espace de liberté, qu'un espace de dignité, qu'un espace d'humanité.
((...) suite du texte ci-joint.