Déposé le 10/07/2013 à 18h25
La frontière entre l'euthanasie et le suicide assisté est parfois ténue, comme l'actualité récente a pu l'illustrer. Trois interdits sont fondateurs de notre société, disent les anthropologues : l'inceste, le mensonge et le "tu ne tueras pas". L'euthanasie et le suicide transgressent le troisième. Le suicide, tout d'abord, demeure réprouvé par la société. A-t-on jamais entendu dire : "Il a bien fait de se suicider" ? Lorsque quelqu'un tente ce geste de désespérance, chacun fait l'impossible pour le rattraper à temps. Si l'on n'y parvient pas, un langage de non-jugement se met aussitôt en place, mais qui n'est pas d'approbation pour autant. Quant à l'euthanasie, elle se présente de plus en plus comme une option. Elle demeure cependant une transgression. Les tribunaux et la jurisprudence ont à en mesurer la gravité en tenant compte des circonstances, mais ce n'est pas à la loi d'en donner la possibilité et de l'organiser.
S'il appartenait aux autres ou à moi-même de décider du moment où je dois tirer ma révérence, je deviendrais alors le maître absolu de mon existence. Pourtant, elle a été reçue sans aucune décision de ma part et elle se poursuit grâce aux autres. L'être humain est essentiellement relationnel. Sa vie n'appartient pas qu'à lui seul. Le suicide - assisté ou non - sera toujours un geste de mort, un échec. Le contraire est impossible à affirmer. En ce qui concerne l'euthanasie, le préfixe eu (bien) ne peut faire oublier le mot thanatos (mort) sous peine d'euphémisme.
Vivre, c'est choisir de vivre; la mort est le non-choix de la vie et met fin à la liberté. Si, après coup, on peut "comprendre" la personne, une société ne doit pas véhiculer le message "Tu peux choisir la mort". Tant que la vie reste possible, il faut tout faire pour qu'elle triomphe. "Je me battrai pour que tu vives, mais si toi, tu abandonnes ce combat, je ne t'en aimerai pas moins, et sans doute même plus..." De grâce, que la loi n'envahisse pas toute notre existence, jusqu'à ses zones les plus privées. Continuons à faire, envers et contre tout, la proposition de la vie, sans pour autant juger ceux qui ne parviennent plus à l'honorer. Et surtout, ne donnons pas l'impression à des êtres fragiles et en phase terminale, qu'ils pourraient être de trop (humainement ou financièrement)...
Si une personne peut en arriver à douter de sa propre dignité, la société ne doit pas pour autant introduire cette idée dans la loi, estime le médecin français Axel Kahn. Et d'ajouter : "Cette ultime liberté doit rester à la fois une liberté individuelle et un interdit collectif." On ne peut en effet faire violence à la liberté, mais on ne peut autoriser la mort. Avant 16 ans, un jeune ne peut pas jouer au Lotto. On considère qu'il n'a pas la maturité suffisante. Et, dans le cadre de la loi de l'euthanasie, il serait question de requérir le diagnostic d'un pédopsychiatre quant à sa capacité de discernement. In fine, ce ne sera donc pas l'enfant qui décidera. Ce paradoxe illustre l'impasse dans laquelle on se trouve.
Il en va de même pour les personnes ayant perdu la raison. On peut comprendre que, "en phase terminale", la souffrance devienne "intolérable". Mais ce sont les limites de l'intolérable qu'il faut reculer et non pas la loi qu'il faudrait élargir. Investissons plutôt notre énergie dans les soins palliatifs (il manque de lits en Belgique), dans le soutien à une vie de qualité et de dignité jusqu'au bout. N'y aurait-il pas là aussi un moment relationnel fort à vivre, qui fait partie de notre humanité ? Que l'euthanasie ne soit pas l'ultime solitude ! "Je souhaite maîtriser les choses jusqu'au bout", disait le professeur de Duve. Nul n'a la maîtrise totale de son existence et c'est précisément la beauté de la vie : nos fragilités nous rendent dépendants les uns des autres. A nous de faire de cette dépendance un lien d'amour.
Nous remercions l'auteur d'avoir autorisé la publication sur ce site de cet article paru dans La Libre le 06/07/2013