Déposé le 31/05/2013 à 14h35 Réflexions de soignants
Il est très sérieusement question en Belgique d'élargir les conditions auxquelles est soumise la légalisation de l'euthanasie, promulguée par la Loi du 28 mai 2002.
A noter d'abord que cette loi a été votée démocratiquement, au terme de l'audition de nombreuses personnalités impliquées dans cette problématique. J'ai eu le privilège -corrélé à mon âge- de vivre toute cette dynamique « par l'intérieur », tout comme j'avais suivi avec grand intérêt la légalisation de l'avortement.
Soyons clairs. Le président honoraire du Sénat, Monsieur Roger LALLEMAND, m'avait fort aimablement invité à donner mon avis dans un dossier consacré à la douleur et à la mort, publié par la revue « Réflexions », de l'Institut Emile Vandervelde, en mars 2000, soit en pleine période de gestation de la loi sur l'euthanasie. J'y exprimais nettement mon OPPOSITION à sa légalisation.
J'y écrivais notamment : « Le médecin ne demande pas une protection légale pour accomplir, dans des conditions exceptionnelles, un acte d'euthanasie, qui représente dans ce cas d'espèce, la moins mauvaise solution. Ce geste reste néanmoins pour moi UNE TRANSGRESSION PLEINEMENT ASSUMÉE. Je suis -et aujourd'hui encore je demeure- convaincu de l'inefficacité de légiférer en la matière pour protéger tant les malades que les soignants ». J'ajoutais que « l'entretien permanent d'une confusion entre éthique et droit, qui caractérise le langage de pas mal de nos décideurs politiques est désolant et ne s'accommode pas du respect de la vie humaine ». Aujourd'hui, je n'ai pas un iota à modifier ce texte !
Néanmoins, la loi a été votée.Elle doit être respectée dans son intégralité, et puisqu'elle comporte une possible CLAUSE DE CONSCIENCE du médecin, elle reconnaît, théoriquement au moins, sa pleine liberté.Qu'il soit donc parfaitement clair que je respecte moi aussi scrupuleusement la loi; mieux, je ne nourris aucune rancune vis-à-vis des autorités politiques qui l'ont promulguée ni des acteurs de terrain qui y ont recours : le patient, le ou les médecin(s), la famille ou l'entourage proche, les soignants qui y prennent part librement.
Je ne porte pas non plus de critiques sur les membres de la Commission d'Évaluation de l'Euthanasie, bien que je m'étonne, comme tout un chacun, de la DISPARITÉ DU NOMBRE DE DÉCLARATIONS entre le Nord et le Sud du pays. On se perd en conjectures d'ordre linguistique, culturel, voire social, sans qu'heureusement, ceci ne débouche sur aucun conflit communautaire ! Je me permets néanmoins de m'étonner qu'aucun responsable politique, qu'aucun membre de la Commission (dont, me direz-vous, ce n'est pas la fonction), n'ait dépassé le stade de la CONSTATATION et n'ait diligenté une enquête pour mieux comprendre LES FAITS qui justifieraient cette disparité. Ce n'est pas une futilité dans l'appréciation de la valeur d'une loi que sa NON-APPLICATION par une large frange du corps médical de notre pays.
Mon expérience personnelle et les avis de bon nombre de praticiens et de patients francophones m'ont assuré du fait que l'euthanasie est pratiquée en région bruxelloise et en Wallonie tout autant que par les néerlandophones de notre pays. Ceci signifierait clairement LE CARACTÈRE FRAGILE ET NON RESPECTÉ DE LA LOI DE 2002.
Bien que vous connaissiez clairement mon opposition à LÉGALISER conditionnellement l'euthanasie, je reste effaré que devant la non-application de la loi, nos responsables politiques et ceux qu'ils ont nommés pour son évaluation, ne se soient pas davantage émus, EN 11 ANS... !
LEGIFÉRER ne suffit pas. Les patients et les médecins francophones ne diffèrent pas à ce point, de leurs concitoyens flamands. Il faut donc bien accepter l'évidence : en Wallonie et dans la région bruxelloise, des euthanasies en nombre important sont réalisées sans appliquer la loi, en ne respectant ni ses limites, ni ses modes d'application, ni son obligation de déclaration.
Après 11 ans, ceci démontre, au-delà de toute conception éthique, l'INEFFICACITÉ DE LA LOI ET SA FRAGILITÉ pour une importante fraction de ceux et celles qui devraient s'en inspirer.
Et, c'est au terme de cette même longue période d'évaluation que les mêmes décideurs politiques, fiers d'être des précurseurs mondiaux, introduisent sans vergogne des propositions pour ÉLARGIR LES CONDITIONS de cette loi de 2002, qui, si même elle est juridiquement solide, n'est pas appliquée, notamment de façon flagrante par les francophones. Elle servirait de socle à un élargissement. Il ne faut pas être juriste pour craindre de bâtir sur le sable !
Des propositions de loi sont en discussion en commission de la Justice et des Affaires sociales du Sénat. Elles envisagent : l'euthanasie des enfants mineurs, l'euthanasie des personnes démentes, l'euthanasie néonatale en cas de handicap du bébé, la durée illimitée d'une déclaration anticipée et une modulation de la clause de conscience du médecin.
Vous remarquerez, qu'en dehors de la liberté personnelle que je revendique, je n'ai pas encore abordé le POINT-DE-VUE ÉTHIQUE.
Je me contenterai d'évoquer deux questions exemplatives.
La détermination de l'ÂGE D'UN ENFANT apte à décider de son euthanasie, varie selon les auteurs Même si l'on observe assez fréquemment un « mûrissement précoce » des comportements chez le jeune enfant atteint d'une maladie chronique, voire incurable, la majorité des pédiatres déclare impossible la détermination de la « capacité de décision » à un âge fixé. Chaque situation est individuelle : QUI VA ÉTABLIR « LE CALENDRIER » DE L'EUTHANASIE D'UN ENFANT ? Lui-même, son papa, sa maman (séparés ou unis dans l'épreuve), le ou les médecin(s),une équipe interdisciplinaire (à la majorité?). La motivation est-elle somatique, psychologique, sociale, spirituelle ? * Ou un mélange subtil et fluctuant de facteurs multiples. Toutes les familles, hélas, j'en suis témoin, ne sont pas idéales et décider de la mort d'un enfant, le sien, n'est-il pas une exigence inhumaine ? Tenir compte de la fratrie n'est pas non plus une mince affaire..
Partir, je le répète, d'une loi (celle de 2002), si mal appliquée et donc RESTANT CADUQUE et non contrôlable ni contrôlée dans son application, et VOULOIR SON EXTENSION À L'ENFANT MINEUR, afin de respecter le droit de mourir dans la dignité, me paraît une surenchère inacceptable. La liberté de la personne humaine n'y sera pas respectée, et, petit à petit, nous rejoindrons l'acceptation légale de l'infanticide du nouveau-né, non conforme aux critères de la société.
À L'AUTRE EXTRÉMITÉ DE LA VIE, ou parfois même précocement, une demande d'euthanasie n'entre pas dans les critères légaux actuels. Il s'agit en particulier de personnes qui, progressivement ou brusquement, s'enfoncent dans une DÉMENCE qui paraît IRRÉVERSIBLE : on vise essentiellement la maladie d'Alzheimer, mais il existe une multitude d'états psychiatriques mettant en péril la conscience et la communication, de façon temporaire ou définitive. Peut-être le patient a-t-il rédigé, lorsqu'il était lucide, une DÉCLARATION ANTICIPÉE, Celle-ci fournit des éléments d'orientation. Contrairement à la déclaration unique, je serais personnellement favorable à son renouvellement annuel, non seulement pour des raisons légales, mais pour servir de critère plus objectif de l'évolution ou confirmer ou infirmer, en pleine conscience et de façon répétée ses derniers souhaits.
(Voir la suite du texte dans le document ci-joint)