Déposé le 17/03/2015 à 18h29 Témoignages
Dans un silence bienveillant, je regarde tous les visages assis en rond. Hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, Chaque visage est différent, chaque personnalité singulière. Nous partageons chacun les rencontres que nous avons vécues. Certaines joyeuses, d'autre légères, d'autres encore complexes et qui appellent un questionnement auquel chacun de nous se livre, essayant de porter son regard, son expérience, sa perception afin d'aider l'autre dans la situation présentée.
Aujourd'hui, j'ai besoin de parler de cet homme accueilli il y a dix jours et qui accompagne sa femme malade. Je l'ai rencontré deux fois, ai passé beaucoup de temps avec lui, engloutie sous un flot de paroles intarissable. Il me parle de lui et encore de lui, de sa toute puissance, de ses pouvoirs et de ses relations.
« Si vous saviez qui je suis... ».
Face à moi je n'ai pourtant qu'un homme accompagnant sa femme, démuni face à une situation qu'il ne peut pas changer, pour laquelle ses relations ne peuvent rien, et qui évite soigneusement le sujet. Il retrace son parcours professionnel, sa vie trépidante, ses moyens, sa notoriété... Je me sens inutile, tout juste capable d'accueillir ses mots, l'expression de sa toute puissance, son « porter beau », « son parler fort » qui me paraissent tellement loin de ce qui se vit ici. Lors de ces deux longs moments passés avec lui, sur deux semaines consécutives, je n'ai pu constater aucun cheminement de cet homme sur un chemin de vérité, vers la séparation. Même sa femme nous fait part de son étonnement « mais il ne comprend pas ce qui se passe ? Pourquoi il est comme ça ? ».
En réunion d'équipe je partage ma frustration, mon impression d'échec face à cet homme.
Une bénévole prend la parole. Elle a rencontré cet homme deux jours plus tard, au chevet de sa femme. Il a pu enfin lui exprimer sa peur de rester seul, son sentiment d'impuissance qui lui est insupportable, lui qui a toujours tout maitrisé, tout décidé, son incapacité à vivre sans elle.
Il a posé sa main sur le ventre de sa femme inconsciente « parce qu'elle aimait bien, ça la soulageait un peu... », est revenu dans le ici et le maintenant de ce qu'il vivait, dans une forme de non-maitrise, peut être un début d'acceptation.
Sa femme est décédée le lendemain.
Comme un maillon d'une chaîne, chacun de nous rencontre une personne vivante, en constante évolution dans un rythme qui lui est propre. J'ai rencontré cet homme à un moment où il ne pouvait affronter l'inacceptable ; une autre bénévole a été là pour lui permettre de formuler l'essentiel. Nous ouvrons des possibles, mais la personne seule décide du contenu de la rencontre.
Autres témoignages: www.vivantsensemble.com