Déposé le 17/01/2014 à 12h47
Réaction à la proposition de loi modifiant la loi relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs
Les Commissions Justice et Affaires sociales du Sénat ont approuvé le 27 novembre 2013 une proposition de loi permettant aux mineurs de bénéficier de l'euthanasie qu'ils auront sollicitée. Ce texte a été adopté en séance plénière du Sénat le 12 décembre 2013.
Dans notre pays, la plupart des lois résultent d'un compromis, ce qui, étant donné la complexité des équilibres politiques qui caractérise notre pays, n'est certes pas étonnant. Toutefois, cette loi a bien des chances de se retrouver dans le "top dix" des textes législatifs s'avérant, en pratique, quasiment inapplicables, à cause du grand nombre de contradictions et d'interprétations possibles du texte.
L'actuelle législation sur l'euthanasie bat déjà tous les records de flou : les conditions y sont formulées de manière tellement vague, qu'il est pratiquement impossible de contrôler si elles sont ou non respectées. En effet, des notions telles que « souffrances insupportables » ou « situation médicale sans issue » sont tellement extensibles que quasiment tout citoyen peut estimer être en situation de bénéficier de ces nouveaux « bienfaits » du secteur médical.
Au cours de ces derniers mois, quelques exemples parlants ont retenu l'attention de la presse mondiale : c'est une personne atteinte d'anorexie, lassée de la vie, a trouvé un médecin prêt à pratiquer l'intervention finale ; cette euthanasie simultanée de deux frères moins-valides ; celui d'un prisonnier qui a opté pour une mort librement choisie parce qu'il pensait ne plus pouvoir bénéficier d'un traitement adapté ; celui d'une mère désespérée qui, ne voyant plus d'issue, a vu, sans aucune concertation avec la famille proche, exaucé son désir de mettre fin à ses jours ; celui d'un homme qui a obtenu l'euthanasie parce qu'il considérait que sa vie était devenue insupportable après une opération transsexuelle ratée,...
Pour se faire une idée de la problématique, le Sénat a auditionné un certain nombre de personnes impliquées dans le secteur des soins de santé et quelques éminents juristes. Au cours de ces rencontres, il a été question, non seulement de l'extension de l'euthanasie aux mineurs d'âge, mais également des propositions relatives à l'euthanasie de personnes atteintes de démence, et de l'obligation pour le médecin traitant opposé à l'euthanasie, de renvoyer le patient vers un confrère.
Un premier point délicat est celui de l'âge auquel les jeunes sont censés être en état d'exprimer leur volonté pour prendre une telle décision. Au départ, l'option consistait à introduire un âge limite, mais finalement, le critère avancé est la capacité d'exprimer sa volonté. L'argument le plus fréquemment entendu en faveur de cette solution est qu'il n'y a pas d'âge pour souffrir, puisque des enfants en très bas âge peuvent être confrontés à autant de souffrance et de douleur que des adultes. Être, très jeune, confronté à une maladie chronique devenue finalement sans issue, confère souvent un autre regard de la situation, une maturité sans doute plus adulte, que celle des jeunes du même âge.
La condition relative à l'état d'exprimer sa volonté ne fait que faire passer tout le problème dans le chef des médecins et/ou de l'équipe soignante, et des parents ; on peut se demander sur quelle base ou critères un enfant sera ou non déclaré en état d'exprimer sa volonté. Pendant les audiences, il est apparu qu'il n'est pas du tout certain que l'on puisse trouver une manière d'objectiver ce concept.
La condition de l'état d'exprimer sa volonté a été en grande partie réduite à néant par le droit de veto dont disposeront les parents. Un tel veto va à l'encontre de la condition la plus essentielle énoncée dans la loi sur l'euthanasie, à savoir le droit à l'autodétermination de l'individu. D'un côté, l'enfant serait déclaré en état d'exprimer sa volonté pour demander sa propre mort, mais d'un autre côté les parents pourraient bloquer ce choix. De plus, le père et la mère – bien intentionnés ou non – influencent souvent la décision de l'enfant, ne serait-ce que par leur rôle évident de parents et d'éducateurs. En pratique il en ressort des situations rares de demandes indirectes ou non d'euthanasie par des parents (ce que l'on peut bien sûr comprendre vu le calvaire qui a mené la famille de cliniques en thérapies). Et quid des situations complexes existant dans les familles ? Et quid de la situation où les parents amenés à prendre de telles décisions - fatales - sont d'avis opposés ?
La proposition de loi fait également une différence entre la souffrance physique et psychologique des mineurs d'âge. Les partisans de cette loi ont toujours – et à juste titre – clairement attiré l'attention sur le fait que la distinction entre ces deux formes de souffrance est très difficile à définir. Les cancéreux en phase terminale avancent souvent leur souffrance psychologique comme raison principale de leur demande de mort volontaire, mais il semble que, dans le cas de mineurs d'âge, il soit possible de faire une nette distinction entre ces deux souffrances. La motivation avancée (« éviter que des enfants confrontés à un chagrin d'amour n'optent pour l'euthanasie ») ne pèse pas très lourd dans toute cette argumentation. Si les conditions actuelles sont tout de même tellement strictes et sévères, comment pourrait-il y avoir des abus ? Et quid des majeurs qui opteraient pour l'euthanasie suite à un chagrin d'amour ? Cet argument deviendrait-il subitement valable parce qu'ils sont majeurs ?
Enfin, on peut se demander si la différence de traitement entre un mineur d'âge et un adulte se trouvant dans les mêmes conditions, est bien justifiée. En fin de compte, l'état d'exprimer sa volonté, les critères entourant par exemple le concept de « situation médicale sans issue » ou la souffrance insupportable devraient être les mêmes pour tous les citoyens de ce pays. Du point de vue éthique, un législateur peut difficilement maintenir une telle différence.
Justifier l'introduction ou la modification d'un texte de loi pour un nombre très restreint de cas (personne ne peut le quantifier) n'est guère justifiable, surtout lorsqu'il s'agit d'un choix entre la vie et la mort. Dans des situations vraiment extrêmes - les cas où le médecin est confronté à un dilemme déchirant - le recours au concept de « situation d'urgence » est toujours possible. Cela offre-t-il 100 % de sécurité juridique à la personne qui applique le geste ultime ? Certainement pas, mais un médecin agissant en âme et conscience n'éprouvera certainement aucune difficulté à faire contrôler ses actes par le pouvoir judiciaire.
Cette législation symbolique doit, selon moi, surtout ouvrir la voie à d'autres « trophées » plus importants, notamment à l'extension de l'euthanasie aux déments dans toutes les phases de la maladie, et à l'introduction de l'obligation pour le médecin traitant opposé à l'euthanasie, de renvoyer le patient à un confrère. Ces propositions d'adaptations ne seront, très probablement, inscrites à l'agenda politique qu'après les élections de 2014, et ces adaptations incluront même peut-être un droit à la mort qui autoriserait les personnes n'ayant plus d'intérêt pour la vie, de pouvoir y mettre volontairement un terme en toute tranquillité, et avec l'aide de notre médecine hyper technologique, via l'injection de solutions létales. Ce débat est déjà bien lancé aux Pays-Bas sous le nom « Uitvrijewil », que l'on pourrait traduire par « le libre choix ».
Selon certains, la Belgique se situe à la pointe du « progrès » éthique grâce à sa législation presque parfaite sur l'euthanasie, mais elle se trouve peut être plutôt déjà sur la pente glissante menant au gouffre que représenterait une société dans laquelle il serait possible, sous prétexte de droit à l'autodétermination, et quasiment sans protestation ou réflexion critique, de précipiter des gens vers la mort ? Ça fait froid dans le dos...