Déposé le 13/04/2015 à 15h54 Témoignages
Il ne parle plus. Ou si peu. J'ai déjà rencontré cet homme plusieurs fois ; de grandes discussions en petits silences... Aujourd'hui, le silence est encore plus grand. La maladie a progressé, et Monsieur P. ne trouve plus ses mots. Pourtant en me voyant entrer dans sa chambre, il me fait un geste d'accueil ; il a envie de présence, et besoin de parler. Il a gardé le oui, le non, quelques rares mots. Et son sourire.
Il a quelque chose à dire. Je suis près de lui, il tente de parler, et je tente de comprendre. Nous sommes tous les deux face à nos limites ; je cherche, me trompe, il recommence, je me concentre, tente de deviner. Nous tâtonnons chacun de notre côté. Lui par des gestes, moi par des mots. Mais l'un et l'autre nous avons décidé d'y arriver.
Nous avançons, lentement, ensemble. Après plusieurs échecs, je comprends qu'il a mal, qu'il voudrait être soulagé. Qu'il a besoin que j'appelle un soignant. Je lis une détente sur son visage. Une petite victoire sur la maladie. Il n'est pas totalement isolé ; il a pu dire, et j'ai pu prendre le temps d'entendre.
A son arrivée, l'infirmière me demande de rester avec eux le temps de valider sa demande. Elle n'arrive pas à le comprendre, et à deux ce sera peut-être plus facile. A nouveaux l'échange tâtonne ; l'infirmière parle, questionne, elle lui prend la main pour qu'il puisse la serrer pour acquiescer; mais l'homme ne veut pas de ce mode de communication; pas encore. Il peut encore dire oui. Et non; et il fait cet effort pour lui signifier qu'il a compris ce qu'elle lui proposait. Et qu'il est d'accord. L'infirmière sourit. Elle a compris ce qu'il voulait, et elle a une réponse claire. Je reste avec Monsieur P. le temps qu'elle prépare le protocole.
Nous n'échangeons plus beaucoup de mots. Il a un visage apaisé, visiblement rassuré de se savoir compris. Nous avons passé beaucoup de temps, l'un et l'autre pour établir ce tout petit bout de communication; mais au merci qu'il m'offre dans un souffle à mon départ, je comprends que ce temps avait une infinie valeur. Pour lui, comme pour moi.
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