Déposé le 10/03/2014 à 17h48 Regard du Philosophe
A l'occasion d'un cas récent, qui a défrayé la chronique, j'ai publié dans « La Libre » (3-7-13) un article qui entend rappeler le fondement de la moralité d'un acte. Il s'agissait d'une réponse au professeur Peter Singer qui avait prétendu, à partir d'un cas extrême, qu'on ne pouvait maintenir l'interdit absolu de l'avortement. Dans la même ligne de pensée, beaucoup pensent aujourd'hui qu'il ne peut y avoir d'interdit absolu de l'euthanasie.
J'ai rappelé que l'un des fondements de la dignité humaine est le sens moral, c'est-à-dire la capacité de discerner dans un agir concret sa raison de bien ou de mal. On a souvent tendance aujourd'hui à focaliser la moralité d'un acte sur le résultat favorable ou défavorable que produit cet acte. Or, la moralité d'un acte ne se mesure pas en première instance à son résultat, mais à ce qu'on appelle son « objet ». L'objet, en morale fondamentale, est l'acte lui-même, en tant qu'il est perçu par son auteur sous l'angle de ce qu'il « veut faire » à travers cet acte.
Quand un acte est défini par son objet, c'est-à-dire par ce que l'on veut faire en le réalisant, sa moralité devient objective et perceptible par tous. Un exemple : si l'on me dit que X a remis 1.000 euros à Y, je ne peux prononcer aucun jugement moral sur cet acte, car « remettre de l'argent » n'est pas un acte décrit sous l'angle de son objet moral ; mais si l'on me dit que X, en remettant 1.000 euros à Y, a fait l'aumône, a payé le juste prix pour un service ou a corrompu pour obtenir une faveur, je peux approuver ou réprouver cet acte, car il m'est présenté et défini sous son angle moral, c'est-à-dire comme « objet ».
Il y a des actes humains dont l'objet est irréconciliable avec la dignité de la personne, toujours, en toute circonstance, quelle que soit l'intention qui l'anime. Car leur objet recèle une finalité intrinsèque auquel le vouloir humain ne peut adhérer sans se corrompre. Ils sont objectivement mauvais, c'est-à-dire par leur objet : c'est le cas lorsqu'on veut tuer un être humain innocent, torturer, violer, commettre l'adultère, etc. Tous ces actes sont mauvais par essence. C'est pourquoi l'avortement et l'euthanasie, qui supposent tous les deux la volonté consciente et délibérée de mettre fin à la vie d'un être humain innocent, sont des interdits moraux absolus.
Dans le cas de l'euthanasie, certains dénoncent l'hypocrisie qui consiste à appliquer une sédation profonde en fin de vie, au lieu de mettre fin à la vie du patient, c'est-à-dire de pratiquer l'euthanasie. Ils y voient de l'hypocrisie parce qu'il leur apparaît que « le résultat est le même ». Ne pas percevoir la différence entre le fait de laisser mourir dans les meilleures conditions et celui de donner la mort révèle une profonde altération du sens moral, aveuglé sans doute par l'élan des sentiments ou par le souci de l'efficacité.
Pour ce qui est des sentiments : même si l'on peut comprendre l'émotion face à une détresse humaine, il est dangereux d'abandonner la conscience — faculté de la raison — aux mains des états d'âme. Car on pourrait permettre ainsi à un enfant de 13 ans de décider de sa vie ou de sa mort, et, dans le même temps, interdire à des jeunes de 17 ans de prendre une bière.
Pour ce qui est de l'efficacité : si celle-ci devient le facteur décisif de l'appréciation morale, les « bons » seraient ceux qui ont la capacité, le pouvoir, l'intelligence de prévoir et de produire des résultats appréciables. Et les « mauvais » seraient les incapables, les subalternes, les inintelligents. Or l'histoire nous montre tant d'exemples de gens modestes dont l'agir révèle toute la splendeur de la conscience humaine, des gens qui préfèrent parfois perdre la vie du corps plutôt que de corrompre celle de l'âme, souffrir l'injustice plutôt que de la commettre (Socrate). Et parmi les gens tenus pour brillants et très doués, on en trouve parfois qui sont disposés à perdre leur âme au nom des prétentions de l'intelligence et des revendications du corps.
On me rétorquera peut-être que la mentalité moderne n'a que faire des interdits. Dans ce cas, au nom de cette mentalité, supprimons dans nos rues tous les feux rouges et tous les panneaux « STOP » : ils constituent des interdits absolus. Au lieu d'arriver à destination, nous enverrions les autres et nous-mêmes au cimetière.
Les interdits absolus marquent les balises de notre liberté. Ils la sauvegardent, ils la guident sur le chemin de la dignité humaine, jusqu'à destination.
Le texte complet se trouve ICI