Déposé le 25/02/2014 à 15h05 Regard du Philosophe
Interview du Professeur Ghins
Le titre "euthanasie des enfants" apparu avec le nom de la Belgique dans les media du monde a fait frissonner bien des rédactions: en quoi consiste la loi adoptée par le parlement belge?
Prof. Michel Ghins - La loi du 28 mai 2002 ouvre l'accès de l'euthanasie aux adultes atteints d'une maladie incurable qui est la cause de souffrances physiques ou psychiques insupportables et inapaisables. L'extension de cette loi aux enfants, quel que soit leur âge, ajoute les restrictions suivantes : le décès de l'enfant est prévu à brève échéance, seules les souffrances physiques sont prises en considération, un pédopsychiatre ou psychologue (dont il n'est pas précisé que ce dernier doit être un spécialiste des enfants) doit attester que l'enfant est capable de discernement au moment de sa demande d'euthanasie, l'accord des parents est requis.
Prévoit-elle l'objection de conscience?
Oui, aucun médecin n'est obligé d'accéder à une demande d'euthanasie. Seul un médecin est autorisé à pratiquer une euthanasie.
La loi est-elle passée en force, en dépit du dissentiment de l'opinion publique, et la réaction a-t-elle été insuffisante?
Il est difficile de se prononcer sur l'état de l'opinion publique. Beaucoup de gens confondent l'euthanasie (qui consiste à mettre intentionnellement fin à une vie à la demande du patient) et la désescalade thérapeutique (l'arrêt progressif des soins curatifs). De plus, peu savent que toutes les souffrances peuvent à présent être soulagées par des soins palliatifs appropriés et, dans des cas rares, par le recours à un endormissement profond, réversible, la sédation palliative. Depuis 2002, les soins palliatifs ont fait de grands progrès. La grande majorité des pédiatres qui soignent des enfants en fin de vie sont opposés à cette loi.
La loi a été votée au Sénat et des experts y ont été consultés. Mais à la Chambre, en commission de la justice, aucune nouvelle audition d'expert n'a été acceptée, alors que plusieurs partis le demandaient. La commission de la santé n'a pas été consultée. Aucun avis n'a été demandé au Conseil d'Etat. Il est vrai que certains partis, principalement les socialistes et les libéraux flamands ont fait le forcing pour que la loi soit votée rapidement, avant les élections du 25 mai.
A partir de quand la loi est-elle applicable et dans quel contexte? Un recours est-il possible?
La loi sera applicable lorsqu'elle aura été signée par le Roi, promulguée par le gouvernement et parue au Moniteur belge, probablement dans quelques semaines. Au niveau belge, aucun recours ne me semble possible.
Cette loi concerne-t-elle des enfants handicapés?
Cette loi ne concerne pas les enfants handicapés, mais seulement les enfants en fin de vie. Mais il est vrai que les associations de personnes handicapées s'inquiètent de l'évolution de la loi sur l'euthanasie, qui s'étend progressivement à des catégories de plus en plus larges de la population.
La société belge est connue pour son esprit "bon enfant" et accueillant: n'est-ce pas un autre paradoxe que derrière les murs des hôpitaux, elle se révèle si violente?
Les défenseurs de cette loi considèrent que l'euthanasie est un geste d'humanité, un acte de compassion, le dernier soin palliatif. C'est faux, mais c'est ce qu'ils pensent. L'euthanasie est toujours un homicide et donc un acte violent, et ne peut certainement pas être considéré comme un soin palliatif.
Lorsqu'un pays adopte des lois qui ne garantissent pas à tous, surtout aux plus faibles, le droit à la vie n'est-il pas en train de saper les fondements du droit? Est-ce que la société ne s'expose pas à une pure et simple implosion?
La loi sur l'euthanasie de 2002 et a fortiori son extension aux enfants est en effet très inquiétante. Le droit à la vie, fondement de tous les autres droits, est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et d'autres grands textes qui font autorité. Depuis 2002, on constate, d'après les rapports de la Commission qui contrôle l'application de la loi, que de plus en plus de cas d'euthanasie sont avalisés alors que les conditions de la loi ne sont pas strictement respectées. La loi est interprétée de façon de plus en plus large. Il n'y a rien de très étonnant à cela puisque 9 membres de la commission sur 16 sont membres ou liés à des associations qui sont en faveur d'une extension de la loi. Une insécurité quant au respect de la vie de personnes âgées, très malades et fortement fragilisées est en train de s'installer en Belgique. Certaines personnes commencent à avoir peur. Des médecins déclarent publiquement pratiquer des euthanasies illégales sans être pour le moins du monde inquiétés ni poursuivis.
On a vu des seniors émigrer des Pays-Bas et choisir des maisons de retraite en Allemagne, par crainte de l'euthanasie chez eux. Au niveau international, quelles conséquences la loi belge peut-elle avoir, notamment sur les adoptions?
Un député russe a demandé que des enfant russes ne puissent plus être adoptés par des belges. On verra si le parlement russe adopte cette mesure. Pour le moment, il est difficile d'évaluer l'impact de la loi sur les adoptions. On peut toutefois remarquer que la vie des enfants très malades n'est plus suffisamment protégée en Belgique.
La loi belge pourrait-elle exposer le pays à des sanctions européennes ou doit-on craindre au contraire une "contagion" en Europe?
Il est difficile d'évaluer la possibilité de sanctions européennes, de même qu'une éventuelle contagion.
A mon sens, l'extension de l'euthanasie aux enfants en Belgique devrait retentir comme une sonnette d'alarme pour les pays tentés par une légalisation de l'euthanasie ! L'événement décisif en Belgique a été le vote de la loi dépénalisant l'euthanasie en 2002. Une fois le pas transgressif franchi, un basculement des mentalités s'opère inévitablement et une culture euthanasique s'installe. On parle ouvertement ici de « droit » à l'euthanasie et de l'obligation de toutes les institutions de soin (cliniques, hôpitaux, maisons de repos etc.) de pratiquer l'euthanasie en leurs murs (des propositions de loi ont été déposées en ce sens). Si on dépénalise l'euthanasie, même dans des conditions « strictes », on assiste à une rupture de digue (selon l'expression de Habermas) et il devient impossible d'arrêter l'extension de l'euthanasie à des couches de plus en plus larges de personnes.